Ce reporticle est extrait dâun Bulletin de la Classe des Beaux-Arts de lâAcadĂ©mie royale de Belgique 2007, 6e sĂ©rie, T. 18, p. 316-372.Pour le plus grand nombre des amateurs de musique â ceux qui aiment Bach, Mozart ou Beethoven â le terme musique moderne » est synonyme de musique incomprĂ©hensible et perturbante » que lâon tolĂšre au concert entre une symphonie classique et un concerto romantique, mais qui est rarement la bienvenu. En a-t-il toujours Ă©tĂ© de mĂȘme dans le passĂ© ? Nous savons que lâhistoire de la musique ne sâest pas dĂ©roulĂ©e comme un long fleuve tranquille et quâelle a connu des dĂ©bats et des crises. Mais ces crises ont-elles Ă©tĂ© de mĂȘme nature que celle que nous connaissons aujourdâhui ? Sachant que le renouvellement de la forme et des contenus de la musique Ă un rythme plus ou moins rapide est une constante dans toutes les sociĂ©tĂ©s, je voudrais tenter de comprendre comment certaines musiques nouvelles ont Ă©tĂ© perçues comme modernes », câest-Ă -dire non comme le prolongement naturel du passĂ©, mais comme une rupture de Vitry, Almisonis â Rosa ». Motet Ă trois voix du Codex dâ diffĂ©rence essentielle entre la musique dâaujourdâhui et les musiques du passĂ©, câest quâaujourdâhui la musique veut nâĂȘtre Ă©coutĂ©e que pour elle-mĂȘme, veut ĂȘtre dĂ©gagĂ©e de toute contingence sociale, veut ĂȘtre un art pur, tandis que les musiques du passĂ© ont longtemps acceptĂ© de se subordonner Ă dâautres activitĂ©s, de nâĂȘtre quâun support dâautre chose faire marcher, faire danser, divertir, Ă©mouvoir, aider les fidĂšles Ă sâunir dans la priĂšre, cĂ©lĂ©brer plus intensĂ©ment les joies et les douleurs, les espĂ©rances et les certitudes de leur communautĂ© spirituelle. FonctionnalitĂ© dâun cĂŽtĂ©, puretĂ© et formalisme de lâautre, est-ce cela qui fait la diffĂ©rence ? Pas entiĂšrement, car les musiques fonctionnelles ne sont jamais vierges de prĂ©occupations esthĂ©tiques et ces prĂ©occupations peuvent entraĂźner des transformations formelles, susceptibles de perturber la fonctionnalitĂ©. Par ailleurs, les musiques dites pures ne sont pas seulement formelles, elles recĂšlent toujours une part dâ premiĂšre trace dâune protestation Ă lâĂ©gard dâune musique moderne remonte au XIVe siĂšcle. Elle se place dans le contexte dâune musique destinĂ©e Ă lâĂ©glise, musique fonctionnelle sâil en est. Longtemps transmise de maniĂšre orale la musique liturgique nâa Ă©tĂ© notĂ©e quâĂ partir du VIIIe siĂšcle ; les livres qui lâont transcrite ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s dĂšs lors comme les dĂ©positaires de la parole divine. Comme le rĂ©pertoire sacrĂ© ne pouvait ĂȘtre modifiĂ©, on sâest attachĂ© Ă lâorner et Ă lâamplifier en superposant une mĂ©lodie grĂ©gorienne dâorigine les mĂ©lismes de la phrase finale dâun alleluia, particuliĂšrement deux ou trois voix nouvelles Ă©tablies selon les rĂšgles du contrepoint naissant et dotĂ©es de textes diffĂ©rents. Des prĂ©occupations esthĂ©tiques sont ainsi intervenues au sein mĂȘme du chant environs de 1320 un traitĂ© manuscrit, rĂ©digĂ© par un musicien du nom de Philippe de Vitry, a connu une assez large diffusion. Sous le nom dâArs nova, il proposait une nouvelle maniĂšre dâĂ©crire la durĂ©e des notes il introduisait des valeurs plus courtes que celles qui Ă©taient en usage jusque lĂ et il faisait admettre la lĂ©gitimitĂ© dâune division binaire des mesures Ă cĂŽtĂ© des traditionnelles mesures Moyen Ăge le terme ars ne renvoie pas Ă une esthĂ©tique mais Ă une technique. Cependant, cette notation nouvelle, exposĂ©e parallĂšlement par dâautres thĂ©oriciens, rĂ©pondait Ă des besoins expressifs qui sâĂ©taient manifestĂ©s dans diverses Ćuvres de maniĂšre confuse un quart de siĂšcle avant sa codification. Elle permettait le dĂ©veloppement dâune musique renouvelĂ©e dans lâesprit et se caractĂ©risait par une grande subtilitĂ© rythmique et un goĂ»t marquĂ© pour les dissonances. Cette musique nouvelle ne sâadressait plus seulement aux moines dans les abbayes mais Ă une aristocratie de cour qui avait adoptĂ© la polyphonie pour ses divertissements profanes et qui imposait ses goĂ»ts raffinĂ©s jusque dans lâ ce qui explique la condamnation quâen a faite le pape Jean XXII dans une dĂ©crĂ©tale de 1325, oĂč il a rappelĂ© fermement que la musique dans lâĂ©glise ne pouvait dĂ©tourner le fidĂšle de sa dĂ©votion. Les pratiques nouvelles avaient ainsi fait prendre conscience aux premiers destinataires des dangers dâune valorisation de la musique pour elle-mĂȘme au dĂ©triment de sa mission fonctionnelle. La polyphonie qui Ă©tait nĂ©e dans lâĂ©glise a pourtant continuĂ© Ă sây dĂ©velopper, avec des alternances de complexitĂ© et de simplicitĂ© relative. Elle a certes servi de culte, mais elle en a Ă©tĂ© un ornement somptueux qui devait aussi montrer la gloire du prince et la gloire de lâEglise elle-mĂȘme. Celle-ci a non seulement permis mais le plus souvent encouragĂ© le dĂ©cor sonore esthĂ©tique quâapportaient les motets et les messes des grands thĂ©oriciens du XVe siĂšcle, Jean Tinctoris, compositeur brabançon qui a vĂ©cu Ă Naples, aprĂšs avoir Ă©crit la musique rend plus belles les louanges Ă Dieu », a dit aussi quâelle donne la gloire Ă ceux qui en sont experts », câest Ă dire aux compositeurs ; câest donc que dĂšs ce moment, une place importante Ă©tait accordĂ©e Ă lâindividualisme crĂ©ateur dans la musique. En fait de crĂ©ation musicale les hommes de ce temps ne connaissaient que la musique qui leur Ă©tait contemporaine ou celle dâun passĂ© rĂ©cent. Tinctoris ne connaissait rien de Guillaume de Machaut, de Landino ou de Ciconia. Vers 1480 il Ă©crivait que câĂ©tait Guillaume Dufay, mort une vingtaine dâannĂ©es auparavant, qui avait fait sortir la musique du dĂ©sordre et de lâincohĂ©rence et quâun art vĂ©ritable et de qualitĂ© nâexistait que depuis Jean Ockeghem Ă la gĂ©nĂ©ration la pratique quotidienne, on relĂ©guait sans cesse dans lâoubli ce qui Ă©tait passĂ© de mode ; de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration on corrigeait le point de dĂ©part, en ramenant chaque fois le dĂ©but de la renaissance Ă une distance chronologique que lâon maĂźtrisait par la mĂ©moire. On choisissait un musicien dont les Ćuvres nâĂ©taient plus guĂšre chantĂ©es mais qui avait Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ© antĂ©rieurement et dont le nom Ă©tait encore connu. Le musicien auquel on attribuait le mĂ©rite de la renaissance de la musique aprĂšs un passĂ© obscur variait donc aprĂšs Dufay, Ockeghem a tenu sa place ; lâars perfecta a ensuite Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©e par Josquin Deprez, puis par Adrien Willaert, puis par Palestrina et Roland de Lassus. Caccini, Amarilli mia dâun dĂ©veloppement naturel de la musique est implicite dans la pensĂ©e des XVe et XVIe siĂšcles aprĂšs une Ă©poque trĂšs faste, mais trĂšs lointaine, un Ăąge dâor qui peut ĂȘtre situĂ© dans lâAntiquitĂ© des philosophes ou des PĂšres de lâEglise, la musique est entrĂ©e dans une longue pĂ©riode de dĂ©cadence, disait-on ; elle y a Ă©tĂ© maintenue jusquâĂ ce quâun maĂźtre exceptionnel la tire de ses tĂ©nĂšbres et la fasse renaĂźtre ; on atteint la maturitĂ© Ă la gĂ©nĂ©ration suivante grĂące Ă un autre maĂźtre, plus grand que le premier, qui mĂšne lâart Ă sa perfection et qui est pris pour modĂšle par dâautres artistes ; mais dĂ©jĂ , on sâinquiĂšte, car des musiciens modernes » proposent de nouvelles maniĂšres dâĂ©crire menaçant de mettre Ă mal la perfection qui avait Ă©tĂ© atteinte. Dans lâignorance oĂč lâon Ă©tait de la musique de plus dâun demi-siĂšcle, les thĂ©oriciens et pĂ©dagogues ont ainsi tracĂ© pas Ă pas lâĂ©volution dâune musique qui se transformait tout en restant fidĂšle Ă certains principes XVe et XVIe siĂšcles, un mĂȘme type dâĂ©criture, la polyphonie, sâĂ©tait imposĂ©e dans tous les genres profanes et sacrĂ©s. Sans doute, celle-ci avait-elle connu des variantes, mais lâĂ©criture contrapuntique Ă la base de toute crĂ©ation, avait assez de souplesse pour permettre Ă des tendances hĂ©tĂ©rogĂšnes de se manifester, particuliĂšrement dans le domaine la fin du XVIe siĂšcle cependant, les principes mĂȘmes de la crĂ©ation polyphonique ont Ă©tĂ© suspectĂ©s. Les critiques les plus vives au contrepoint ont Ă©tĂ© formulĂ©es dans des milieux humanistes italiens qui allaient puiser leurs arguments dans le mythe dâune musique grecque antique quâils ne connaissaient que par les Ă©crits des philosophes. Pour traduire les sentiments avec intensitĂ©, pour pĂ©nĂ©trer lâĂąme des auditeurs, la musique devait, plaidaient-ils, renoncer Ă la polyphonie et recourir Ă la simple monocodie accompagnĂ©e dâinstruments. En fait, au sein mĂȘme de la technique du contrepoint, une des tendances de lâĂ©volution avait dĂ©jĂ simplifiĂ© progressivement le contrepoint et centrĂ© lâattention de lâauditeur sur une voix en solo, les autres parties Ă©tant ramenĂ©es Ă des accords de soutien ; la voix en solo pouvait, en effet, atteindre une vĂ©ritĂ© plus intense dans lâ stile nuovo » a permis la naissance de lâopĂ©ra, un genre oĂč ont Ă©tĂ© exploitĂ©s toutes ses possibilitĂ©s expressives, car il permettait de faire ressentir les passions dans toute leur violence et leur diversitĂ©. Cependant, il ne sâest pas bornĂ© Ă la forme exaspĂ©rĂ©e de lâopposition au contrepoint quâĂ©tait le rĂ©citatif totalement asservi au texte. En devenant musique baroque » il a conservĂ© des Ă©lĂ©ments stylistiques qui provenaient de lâĂ©poque prĂ©cĂ©dente, mais les a renouvelĂ©s et vivifiĂ©s ; il sâest progressivement enrichi et est devenu vĂ©ritablement une autre musique, profondĂ©ment diffĂ©rente de celle de la Renaissance par son allure mĂ©lodique, son rythme, ses principes harmoniques. Il sâest consolidĂ© en Ă©tablissant au fil des Ćuvres le systĂšme tonal dont Jean-Philippe Rameau allait thĂ©oriser les principes dans son TraitĂ© de lâharmonie rĂ©duite Ă ses principes naturels en XVIIe et au XVIIIe siĂšcle la crĂ©ation musicale est restĂ©e essentiellement fonctionnelle il y avait une musique pour lâĂ©glise, une musique pour lâintimitĂ© la musique de chambre et dĂ©sormais une musique proposĂ©e Ă un public qui payait sa place lâopĂ©ra et bientĂŽt le concert ; ces diffĂ©rents rĂŽles entraĂźnaient une diversitĂ© dâĂ©criture. Le compositeur travaillait pour un commanditaire, un patron, et veillait Ă rĂ©pondre Ă ses attentes. Son apprentissage reposait sur lâimitation des Ćuvres qui lui Ă©taient proposĂ©es comme modĂšles ; câest ainsi quâil apprenait toutes les rĂšgles de la composition, le contrepoint et la basse continue, les procĂ©dĂ©s rhĂ©toriques de reprĂ©sentation des Ă©motions, les formes et, par une pratique personnelle, le bon usage des instruments et de la Bach, Adagio du Concerto en rĂ© mineur dâaprĂšs A. de lâapprentissage, lâimitation et parfois le dĂ©calque dâĆuvres existantes Ă©taient considĂ©rĂ©s comme un procĂ©dĂ© lĂ©gitime de composition, pour autant que lâĆuvre nouvelle soit jugĂ©e bonne, câest-Ă -dire soit Ă la fois proche de ses modĂšles, et quelque peu diffĂ©rente. On a pu ironiser sur les centaines de concertos de Vivaldi et de ses contemporains conçus sur un mĂȘme modĂšle, inventifs chez certains, stĂ©rĂ©otypĂ©s chez beaucoup dâautres. Cette banalisation de la crĂ©ation nâempĂȘchait pas lâartiste de mettre parfois les rĂšgles en question, mais câest en oeuvrant quâil arrivait Ă le faire, comme entraĂźnĂ© par une dialectique interne. Bach lui-mĂȘme est souvent parti dans ses compositions dâĆuvres prĂ©existantes Ă©crites par dâautres ou par lui-mĂȘme ; il les transformait en les transcrivant. Dans sa musique instrumentale aussi bien que vocale, il recourait constamment Ă des formules mĂ©lodiques imageantes selon une rhĂ©torique traditionnelle. Les quelques brouillons de lui qui ont Ă©tĂ© conservĂ©s montrent quâil commençait par noter la sĂ©quence mĂ©lodique qui allait servir de base Ă la composition â dans une fugue, le sujet et le contre-sujet â ainsi que lâemplacement des modulations. En partant de ce quâil avait intĂ©riorisĂ© des modĂšles quâil empruntait, selon les cas, Ă la musique italienne, la musique française ou la tradition allemande, il rĂ©digeait ensuite lâĆuvre dâune traite en respectant le plan initial, mais en y introduisant des innovations de dĂ©tail et en y ajoutant des complĂ©ments qui pouvaient ĂȘtre beaucoup de ses contemporains, ce quâĂ©crivait alors le vieux Bach relevait dâun style dĂ©passĂ© â câest aujourdâhui que lâon parle de la modernitĂ© permanente de sa musique â tandis que ses fils Carl Philip Emanuel et Johann-Christian contribuaient par leurs Ćuvre aux changements dâĂ©criture et du goĂ»t. En effet, dans lâĂ©volution gĂ©nĂ©rale, Ă lâintĂ©rieur dâune esthĂ©tique donnĂ©e apparaissaient pĂ©riodiquement des Ćuvres qui, au fil des annĂ©es, multipliaient les exceptions aux rĂšgles admises ; ainsi sâĂ©laborait progressivement un style nouveau qui finissait par relĂ©guer dans lâoubli le prĂ©cĂ©dent avec tout son rĂ©pertoire en lâoccurrence le style galant allait remplacer le Amadeus Mozart, Menuet » du Quatuor les dissonancesâ en ut majeur K. philosophes comme Kant ou Schelling ont alors perçu des changements dans lâĂ©tat dâesprit de certains artistes ceux-ci rejetaient le principe de lâimitation qui avait prĂ©valu jusque lĂ dans les arts imitation de la nature, des sentiments, du langage parlĂ© ; une nouvelle catĂ©gorie esthĂ©tique, lâoriginalitĂ©, a commencĂ© alors Ă prendre de lâimportance. En musique ce nouvel Ă©tat dâesprit sâest marquĂ©, par exemple, chez Mozart lorsquâil a rompu avec son maĂźtre, lâarchevĂȘque de Salzbourg, et quâil est devenu un musicien indĂ©pendant, gagnant sa vie en jouant ses concertos pour piano dans des concerts payants, en donnant des leçons, en vendant ses Ćuvres Ă des Ă©diteurs, en fournissant des opĂ©ras Ă des directeurs de théùtre. A partir du moment oĂč il a acquis une autonomie sociale, Mozart a libertĂ© la plus grande partie de sa musique de toute fonctionnalitĂ© ; sans rompre avec les formes et les genres traditionnels, il les a amplifiĂ©s, leur adonnĂ© des accents expressifs nouveaux ; lâirruption de lâinattendu au milieu du dĂ©jĂ connu est chez lui lâessence de lâoriginalitĂ© ; il composait pour sa propre satisfaction et pour lâadmiration des connaisseurs » comme Joseph Haydn Ă qui il a dĂ©diĂ© six de ses plus beaux de la RĂ©volution française a aussi insufflĂ© un dĂ©sir dâautonomie chez les artistes ; ils y ont souvent Ă©tĂ© contraints, du reste, car en France, et bientĂŽt aussi en Europe, les anciens commanditaires â les Ă©glises, les princes â nâont plus eu les moyens dâentretenir des musiciens et dâen ĂȘtre les mĂ©cĂšnes. Lâautonomie acquise par les artistes les a incitĂ©s Ă rechercher lâoriginalitĂ© et celle-ci est bientĂŽt devenue la norme pour la est alors devenu la figure mythique du musicien libĂ©rĂ© de toute entrave sociale, qui ne visait Ă satisfaire que sa seule conscience dâartiste ; il a rendu son langage de plus en plus complexe ses derniĂšres sonates pour piano et ses derniers quatuors mĂšnent Ă un monde sonore auquel nâont accĂ©dĂ© longtemps que de rares Ă©lus. AprĂšs lui, et inspirĂ©s par son exemple, des crĂ©ateurs ont engagĂ© leur musique dans un langage dâune complexitĂ© croissante et ont pris les risques dâune rupture avec un public qui sâĂ©largissait grĂące aux progrĂšs de lâinstruction et de la dĂ©mocratie. Mais les nouveaux venus Ă la culture avaient de la musique une connaissance moins intime que ceux qui par tradition familiale et de longue date, avaient rĂ©guliĂšrement vĂ©cu avec souvent parce que ces amateurs ne trouvaient pas leur plaisir dans les musiques nouvelles quâils se sont tournĂ©s vers les musiques du passĂ©. JusquâĂ la fin du XVIIIe siĂšcle encore, la connaissance quâon avait du passĂ© de la musique Ă©tait restĂ©e trĂšs limitĂ©e. Les premiĂšres histoires gĂ©nĂ©rales expliquaient que la musique avait connu un progrĂšs constant Ă travers les Ăąges et avait sans cesse gagnĂ© en qualitĂ©. En 1789, dans une des premiĂšres histoires gĂ©nĂ©rales Ă©crites alors, Charles Burney Ă©crivait encore Si nous avons donnĂ© dans ce livre beaucoup dâexemples dâĆuvres anciennes, ce nâest pas comme modĂšles de perfection, mais plutĂŽt comme des reliques barbares qui montrent les Ă©garements de lâhumanitĂ© qui a pu se contenter dâune mauvaise musique avant dâen entendre de la bonne ».En Angleterre des festival Haendel » consacrĂ©s au Messie ont Ă©tĂ© organisĂ©s chaque annĂ©e dans les principales villes aprĂšs la mort du compositeur. En Allemagne la musique de J. S. Bach qui Ă sa mort ne correspondait plus au goĂ»t galant alors dominant, a Ă©tĂ© valorisĂ© par un groupe trĂšs restreint dâadmirateurs comme le modĂšle dâun art sĂ©rieux et grave qui sâopposait aux frivolitĂ©s contemporaines et ne pouvait ĂȘtre laissĂ© dans lâoubli. Bach et Haendel ont ainsi Ă©tĂ© les premiers piliers dâun musĂ©e de la musique » oĂč ils ont bientĂŽt Ă©tĂ© rejoints par les trois classiques viennois », Haydn, Mozart, Beethoven et un polyphoniste comme Palestrina, quâon nâavait pas cessĂ© de chanter Ă lâĂ©glise mais que dĂ©sormais on allait entendre parfois dans des Concerts historiques. Ce sont les Ćuvres de ces maĂźtres qui ont fourni le noyau de ce quâon a appelĂ© la musique classique ». On a jugĂ© alors quâil Ă©tait faux de croire quâen se transformant au fil des siĂšcles, la musique avait nĂ©cessairement progressĂ© en qualitĂ© ; on a pensĂ© que des Ćuvres dâun passĂ© plus ou moins lointain pouvaient apporter Ă lâauditeur des satisfactions plus grandes que les musiques contemporaines. Au sein de la musique savante, la musique classique » sâest ainsi installĂ©e en opposition Ă la musique moderne » avec des Ćuvres qui, fonctionnelles Ă leur origine, ont Ă©tĂ© Ă©coutĂ©es dĂ©sormais en concert câest au concert et non Ă lâĂ©glise que les cantates et les Passions de Bach ont Ă©tĂ© entendues câest aussi directement au concert que Beethoven a destinĂ© sa Missa solemnis. Le rĂ©pertoire classique sâest Ă©tendu, dâune part Ă des musiques antĂ©rieures Ă Bach, dâautre part Ă des romantiques comme Schubert, Chopin, Schumann, puis progressivement Ă des Ćuvres de compositeurs qui avaient plus profondĂ©ment transformĂ© le langage comme Wagner, Debussy, le Stravinsky de Petrouchka et du Sacre du printemps et qui, pour cette raison, avaient dâabord Ă©tĂ© Ă©tiquetĂ©s comme modernes ».Tous les compositeurs du XIXe siĂšcle nâont pas eu lâambition de transformer le langage. Beaucoup ont Ă©crit une musique de bonne ou de moins bonne qualitĂ© qui tenait compte, avec un retard plus ou moins grand, des acquis progressifs dans lâinnovation. Dâautres encore ont souhaitĂ© satisfaire les goĂ»ts du public le plus large et ont commercialisĂ© leur art. Au XIXe siĂšcle, ce fut le cas notamment pour les virtuoses du piano ou du violon, pour beaucoup de compositeurs dâopĂ©ra et de musique de Stravinsky, Le Sacre du Printemps, Premier Tableau, LâAdoration de la la veille de la premiĂšre guerre mondiale, la modernitĂ© a connu des manifestations Ă©clatantes qui ont provoquĂ© de vĂ©ritables scandales. Le Sacre du printemps de Stravinsky, vite intĂ©grĂ© cependant au patrimoine des chefs-dâĆuvre malgrĂ© ses violences rythmiques, et Pierrot lunaire dâArnold Schoenberg, dĂ©clamĂ© sur la traduction allemande de poĂšmes dâAlbert Giraud, Ă©taient apparus comme les crĂ©ations les plus rĂ©volutionnaires quâon ait jamais connues. A propos de Schoenberg, Claude Debussy, qui avait personnifiĂ© lâaudace, avait Ă©crit dans une lettre de 1915 Ă Stravinsky quelques phrases, inspirĂ©es aussi par le climat de la guerre, qui comptent parmi les plus vĂ©hĂ©mentes contre une musique moderne Il faudra ouvrir les yeux et les oreilles lorsque le bruit nĂ©cessaire du canon laissera la place Ă dâautres sons⊠Il faudra nettoyer le monde de cette mauvaise semence, il faudra tuer ce microbe de la fausse grandeur organisĂ©e, dont nous ne nous sommes pas toujours aperçus quâelle Ă©tait simplement de la faiblesse. Dans ces derniĂšres annĂ©es, quand jâai senti les miasmes austroboches sâĂ©tendre sur lâart, jâaurais voulu avoir plus dâautoritĂ© pour crier mon inquiĂ©tude, pour avertir des dangers vers lesquels nous courions sans mĂ©fiance » 1 Arnold Schoenberg, Mondestuken », Pierrot lunaire op. la guerre, Ă lâoccasion de lâaudition Ă Paris de Pierrot lunaire, le critique Emile Vuillermoz a bien situĂ© le rĂŽle mythique attribuĂ© Ă Schoenberg comme parangon de lâavant-garde dans les surenchĂšres de la modernitĂ© Lorsquâun jeune compositeur, français ou Ă©tranger, manifestait quelque tendance pour un style heurtĂ©, fragmentĂ©, Ăąpre et dissonant, on disait dâun air entendu Il est trĂšs influencĂ© par Schoenberg ». Pour beaucoup dâhonnĂȘtes gens, la course Ă la dissonance se contrĂŽlait de la façon suivante Wagner, jadis grand champion, sâĂ©tait laissĂ© dĂ©passer par Debussy ; Debussy avait Ă©tĂ© distancĂ© par Ravel ; Ravel avait Ă©tĂ© semĂ© » par Stravinsky ; et au-delĂ de Stravinsky, trĂšs loin, lĂ -bas, dans la direction du Prater, galopait Ă©perdument ce coureur fantĂŽme Arnold Schoenberg » 2. Cependant, dĂšs ce moment, Schoenberg avait jugĂ© quâaprĂšs le chromatisme wagnĂ©rien de Tristan et Isolde, la multiplication de modulations vagabondes auxquelles recouraient beaucoup de compositeurs avait rĂ©duit Ă lâinefficacitĂ© les vertus dâarticulation et dâunification du langage tonal et que celui-ci, dĂšs lors, avait fini de jouer son rĂŽle historique il lâa remplacĂ© par une mĂ©thode de composition basĂ©e dans chaque Ćuvre sur lâorganisation systĂ©matique des douze sons de lâĂ©chelle chromatique, sans aucune prĂ©dominance Boulez, III. Lâartisanat furieux », Le marteau sans Europe occidentale, en France, en particulier, Schoenberg a toujours Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme un musicien dâavant-garde mais, en mĂȘme temps, comme un musicien de laboratoire ». Dans lâentre-deux-guerres, le nĂ©o-classicisme de Stravinsky a dominĂ© la musique contemporaine. Mais, aprĂšs 1945, ce nĂ©o-classicisme a Ă©tĂ© la premiĂšre cible dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration avec Pierre Boulez Ă sa tĂȘte. Ces musiciens ont rĂ©pudiĂ© les structures tonales et ont adoptĂ© lâĂ©criture sĂ©rielle, dâabord appelĂ©e dodĂ©caphonique », en prenant comme point de dĂ©part non Schoenberg mais son disciple viennois Anton von Webern, dont la musique, dĂ©pourvue de toute rhĂ©torique traditionnelle, Ă©tait jugĂ©e plus adĂ©quate Ă lâinnovation dans la rigueur. Par des rencontres aux cours dâĂ©tĂ© de Darmstadt, oĂč pendant quelques annĂ©es de jeunes musiciens de tous les pays ont rivalisĂ© dâaudace dans leurs crĂ©ations, et aussi grĂące aux festivals et concerts spĂ©cialisĂ©s qui ont Ă©tĂ© créés Ă travers lâEurope, une vĂ©ritable internationale de lâavant-garde sâest alors musiciens ont affichĂ© leur mĂ©pris pour les compositeurs qui perpĂ©tuaient de quelque maniĂšre lâusage du systĂšme tonal aprĂšs Stravinsky, ils ont bientĂŽt condamnĂ© Bartok et mĂȘme Alban Berg et Schoenberg, trop liĂ©s au passĂ© Ă leurs yeux, tandis que leurs adversaires proclamaient que la pensĂ©e sĂ©rielle, en nĂ©gligeant les universaux psychologiques fournis par la nature, renonçait Ă toute communicabilitĂ©. Les musiciens sĂ©riels ont voulu crĂ©er un style collectif rigoureusement dĂ©terminĂ© par une logique interne. Ils ont cherchĂ© lâappui dans lâĂ©lectro-acoustique pour crĂ©er des sons nouveaux et, plus tard, dans lâinformatique pour Ă©laborer des schĂ©mas de composition rigoureusement rationnels quâil nây avait plus quâĂ traduire ensuite en matiĂšre sonore. Pendant une quinzaine dâannĂ©es, le radicalisme le plus intransigeant a prĂ©valu. Dâabord solidaires, les chefs de file du sĂ©rialisme, Pierre Boulez en France, Karlheinz Stockhausen en Allemagne, Luigi Nono en Italie, Henri Pousseur en Belgique, ont ensuite poursuivi leurs dĂ©marches crĂ©atrices personnelles en Ă©vitant le plus souvent les piĂšges de la surdĂ©termination et ceux de lâalĂ©atoire ou du nâimporte DeliĂšge a consacrĂ© rĂ©cemment un gros livre Ă Cinquante ans de modernitĂ© musicale » dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XXe siĂšcle 3, câest-Ă -dire de lâavĂšnement du sĂ©rialisme Ă son Ă©clatement dans des chemins qui sâentremĂȘlent, Ă ses prolongements chez de nombreux compositeurs et Ă ses reniements. A lire cet ouvrage, on constate que, contrairement Ă ce quâavaient espĂ©rĂ© ses initiateurs, le sĂ©rialisme ne sâest pas imposĂ© comme un mouvement fĂ©dĂ©rateur qui indiquerait de maniĂšre incontournable le destin de la musique ; de nombreux courants ont marquĂ© des ruptures successives dans le sĂ©rialisme et ont donnĂ© Ă la musique des orientations fort sein de lâavant-garde mĂȘme, des musiciens quâon a dits post-modernes » sont apparus Ă partir de 1970. Ils ne croyaient plus que les musiques modernes dâaujourdâhui seraient la musique universelle de demain ; ils nâont pas craint de mĂ©langer les styles et les genres ; ils se sont souvent inspirĂ©s des musiques du passĂ©, de musiques extra-europĂ©ennes et parfois de musiques commercialisĂ©es. Les avatars du sĂ©rialisme ne couvrent Ă©videmment pas toute la musique contemporaine ; beaucoup de compositeurs ont continuĂ© sans trouble de conscience Ă Ă©crire leur musique dans la tradition de lâĂ©criture tonale et les musiques du passĂ© sont restĂ©es plus que jamais entendu, toutes les musiques â classiques et modernes â sont dĂ©fonctionnalisĂ©es. Ce ne sont pas seulement les musiques modernes qui sont dâaccĂšs difficiles. En effet, pour comprendre Bach, Beethoven, Wagner ou Debussy, lâauditeur peut sâappuyer sur certaines constantes du systĂšme tonal Ă©tabli depuis le XVIIe et le XVIIIe siĂšcle, mais il doit aussi pouvoir distinguer dans toutes leurs variantes les schĂšmes formels et expressifs introduits au fil de lâhistoire et, Ă chaque Ćuvre novatrice, il doit sâefforcer dâajuster ses facultĂ©s de comprĂ©hension. Ces exigences font que toutes les musiques classiques sont Ă©litaires, elles ne touchent quâun public minoritaire ; les musiques contemporaines, et parmi elles les musiques modernes, nâatteignent quâune fraction rĂ©duite de ce public lâĂ©tude quâil a consacrĂ©e Ă la musique de Bach et Ă sa comprĂ©hension, le philosophe et esthĂ©ticien Boris de Schloezer Ă©crit Jâose affirmer que dans une salle de concert, sur cent personnes, il nây en a pas dix peut-ĂȘtre qui soient capables dâĂ©couter rĂ©ellement la musique. Convaincu quâil lui prĂȘte attention et sâen dĂ©lecte, lâauditeur gĂ©nĂ©ralement se contente de sâĂ©couter ou plutĂŽt de sâabandonner Ă une vague euphorie, Ă la fois sentimentale et sensuelle, traversĂ©e dâĂ©motions fugaces qui le surprennent lui-mĂȘme lorsque brusquement il lui arrive dâen prendre conscience et de reconnaĂźtre jusquâoĂč lâart a entraĂźnĂ© ses rĂȘveries » 4.Pour Boris de Schloezer, le bon auditeur doit aussi sâinvestir intellectuellement dans lâĂ©coute des musiques pour les saisir dans leur globalitĂ© et leur unitĂ©. Mais, il en est conscient, mĂȘme pour les musiques classiques cet idĂ©al nâest atteint quâexceptionnellement. La comprĂ©hension dâune Ćuvre moderne est plus ardue encore dans la mesure oĂč le langage et la forme refusent les stĂ©rĂ©otypes. Certes le temps du radicalisme intĂ©gral est passĂ©. Les compositeurs dâaujourdâhui sâefforcent dans leurs Ćuvres de susciter lâattention de lâauditeur par des points dâancrage qui crĂ©ent des alternances et des oppositions de divers types. Ils ont lâespoir que lâauditeur pourra ainsi, sans en prendre vĂ©ritablement conscience, percevoir les Ă©lĂ©ments dâune forme et donner un sens psychologique Ă ce quâil entend. Cet espoir leur donne une raison de crĂ©er et mĂȘme de vivre. Mais il faut le reconnaĂźtre, il nâest pas souvent satisfait.
Sil'on pense à l'apprentissage de la politesse, d'une certaine morale (qui culpabilise peu ou prou) et des comportements civiques, l'éducation de l'enfant d'aujourd'hui apparaßt moins stricte que l'éducation de l'enfant d'hier. Si maintenant on aborde la culture générale de l'enfant, la comparaison entre l'éducation d'hier et l
Lassociation "Villeparisis et son PassĂ©" organise du 13 au 26 juin 2022 Ă la Maison Pour Tous Jacques Marguin une exposition intitulĂ©e "Villeparisis, hier et aujourd'hui", une comparaison entre des vues d'avant 1950 et des vues prises en 2022 selon un parcours dans Villeparisis.Maisla femme nâest pas la seule Ă marcher sur les voies de la consommation de masse. «Lâhomme moderne » est aussi le destinataire de la publicitĂ© : en Ă©cho au magazine Elle, naĂźt le magazine Lui en 1963, magazine qui sera lu par prĂšs de 5 millions dâhommes. Dans les rayons supermarchĂ©s, on a dâun cĂŽtĂ© les bas DIM qui ne filent pas